TELEMATIQUE : EXPLOITER SES DONNEES TECHNIQUES... MAIS PAS A PRIX D'OR ! | L'enquête de TRM le Guide n°8 Avril 2021

Quel est le jeu des constructeurs, qui ouvrent d'une main l'accès aux données poids lourd, pour mieux verrouiller de l’autre un business après vente de plus en plus électronique ? Si les transporteurs peinent à obtenir des informations fiables et homogènes sur les consommations et les performances de conduite, on les voit s'organiser pour clamer haut et fort : ces données sont les nôtres ! 



Reprendre la main sur ses données techniques, pour les analyser, les optimiser, les transmettre, les vendre… Voici l'un des principaux challenges des transporteurs. Entre la crise sanitaire et les impératifs environnementaux, la transition énergétique en cours, beaucoup remettent ces questions à demain. D'autres guerres se préparent pourtant ici, et maintenant, qui touchent à la propriété des  flux digitaux, à la relation entre les transporteurs et leurs prestataires informatiques, et au centre du jeu, les constructeurs de poids lourds. Nous verrons que la maîtrise des informations associées aux transports de marchandises est  décisive, car elle permet aux entreprises de conserver leur valeur ajoutée, mais aussi de gagner en performance et en rentabilité, en contrôlant mieux les consommations de carburant. Conduire ou se laisser conduire, telle est la question !


La protection des données est décidément au cœur de notre éditorial. Dès le premier numéro de TRM Le Guide, dans l’enquête d'ouverture « Plateformes et traçabilité, comment garder la main ? » (https://www.transportissimo.com/enquete-plates-formes-et-tracabilite-comment-garder-la-main/), nous nous sommes interrogés sur l'exploitation des infos de la route par les chargeurs et leurs intermédiaires. Nous appréhendons aujourd'hui un ensemble d'informations plus large, relatives aux camions, qui intéressent pour l'instant beaucoup moins les donneur d'ordres — encore que… ces derniers pourraient élargir leur quête de plus en plus globale d'indicateurs permettant d'affiner l’ETA (heure estimée d'arrivée d'une livraison), le calibrage des retards, la qualification des performances de leurs partenaires.


Qu'ils veuillent tracer les marchandises, l’ETA ou l'utilisation d'un matériel roulant, les clients comme les fournisseurs des transporteurs cherchent d'abord à connaître les positions des camions. Le GPS est la plus simple et la plus prisée des données techniques. La plus commune aussi, puisqu'on y accède via les smartphones des conducteurs et de multiples objets de tracking présents dans les poids lourds. Mais l’ordinateur encastré dans le tableau de bord, boîtier communiquant GPS–GPRS (norme de téléphonie mobile) appelé aussi OBU (on board unit) ou « boîte noire », reste la source la plus fiable d'un positionnement en continu. A la fin de cette enquête, vous trouverez un tableau récapitulatif des principaux matériels informatiques embarqués distribués en France.


Une interopérabilité incertaine


Depuis 20 ans, les fabricants indépendants ont mis la main sur le marché télématique, en créant des fonctions nouvelles telles que le téléchargement des données sociales à distance, et en s’intégrant aux progiciels existants dans les nombreux métiers du transport. Mais depuis quelques années, les marques de poids lourds montent au créneau. Elles installent de série des boîtiers GPS–GPRS sur leurs camions, et développent un ensemble de services orientés vers la maintenance et la conduite économique ; jusqu'à mettre sur pied de véritables plateformes pouvant intégrer d’autres types d’informations.


En outre, la généralisation de l'informatique embarquée montée d'usine a ouvert un nouveaux business aux éditeurs et aux fabricants. Ceux-peuvent se dispenser d'un boîtier complémentaire, en mettant en place des protocoles de communication avec les constructeurs, et recueillir les données des boîtiers de série pour les faire apparaître sur leur plateforme. C'est le cas de S3pweb, qui a ainsi développé une offre télématique purement logicielle. Mais aussi de Webfleet, qui a annoncé en janvier 2021 un partenariat de ce type avec Mercedes-Benz.


De première ou de seconde monte, les OBU peuvent être reliés à de multiples sources : des capteurs (ouverture de porte, système de chauffage, prise de force, activation pneumatique…) ; le chronotachygraphe (identification du conducteur, kilométrage, vitesse, fichiers sociaux légaux) ; et l'interface standard de l'électronique du camion qui donne accès à des données normalisées : position de la pédale d’accélérateur (0-100%) ; pédale de freins (on/off) ; régulateur de vitesse (on/off) ; température du liquide de refroidissement ; vitesse du moteur (régime en Tr/mn) ; niveau de carburant (0-100%) ; prise de force (PTO) ; distance de service (Km) ; heures totales du moteur ; volume total de combustible utilisé (litres ou kilogrammes pour les véhicules au gaz).


Ces dernières données « moteur », enrichies de dizaines d’informations de diagnostic et de maintenance sont le pré carré des constructeurs de véhicules industriels. Ces derniers promettent depuis longtemps une certaine interopérabilité qui peine à aboutir. Rappelons qu'en 2002, les sept marques européennes ont annoncé le développement d’un système de gestion de flotte (FMS) standard et ouvert. Une prise ou connecteur "FMS Gateway", dont tous les poids lourds sont équipés depuis 2014, permet de lire les données techniques circulant dans l'électronique du camion, et convergeant vers une seule interface, le bus CAN (kilométrage, vitesse, vitesse du moteur, et une quarantaine de paramètres). En 2012, une nouvelle technologie d'accès Web, la rFMS, a dématérialisé la prise de connexion des boîtiers télématiques. Via un portail rFMS constructeur, les data peuvent être collectées par un logiciel tiers de gestion de flotte, de parc ou d’écoconduite. Tout se passe sur le Cloud, entre des plateformes. 


Certes, le FMS a permis l’ouverture du marché télématiques à des fabricants indépendants. Mais les constructeurs ont multiplié les versions FMS et rFMS, différentes selon les marques et les modèles, et même les dates de sortie des véhicules. Au final, cette pseudo-standardisation a permis de sécuriser le marché après-vente des industriels du poids lourd. Tout en ouvrant partiellement leur système, ceux-ci ont conservé l'essentiel des informations de maintenance. Impossible pour les transporteurs d'appréhender directement les données techniques, surtout quand ils exploitent différentes marques de véhicules.


Dans l'article suivant, nous détaillerons les différents protocoles FMS et rFMS. Nous verrons que les avancées technologiques facilitent l'interopérabilité des systèmes, en théorie, mais surtout le verrouillage systématique de l'accès aux données. La multiplicité des prestataires possibles, des plateformes en compétition a fait l'objet d'une enquête dans le numéro 5 de TRM Le Guide en novembre 2019 (https://www.transportissimo.com/equipements-connectes-des-plateformes-en-competition/). Nous avons vu que la masse des données recueillies par les constructeurs sert essentiellement à optimiser leur propre production. Chacun s'efforce de garder le contrôle de ses informations tout en aspirant celles des autres, et promet des services de plus en plus « intelligents ». A les voir batailler dans les nuages, on se prend à rêver d'une optimisation moins prédatrice et mieux partagée, au service des transporteurs.

Dans TRM Le Guide, nous partons du principe que les données appartiennent à ceux qui achètent et utilisent les matériels qui produisent les informations, soit aux transporteurs, soit aux conducteurs.

Au centre de la chaîne digitale, le patron de flotte est clairement décideur. Comment pourra-t-il tirer son épingle du jeu ? Dans les témoignages qui suivent, nous  examinons la question du choix de l'équipement embarqué, de première ou de seconde monte ; mais aussi les conditions et le prix de l'accès aux données, l'exploitation et le partage des informations entre les constructeurs, les transporteurs et les télématiciens indépendants.


Des données brutes, pas à prix d'or !


« Nous voulons cesser d’installer de l’informatique dans les camions, désormais tous équipés de série d’un ordinateur de bord, commence Arnaud Ageneau, co-dirigeant du groupe Ageneau à Cholet (49) qui a renouvelé sa télématique en novembre 2020 pour adopter la solution Map&Truck de S3pweb sur 220 véhicules. Objectif : synthétiser l'ensemble de la data des constructeurs pour retranscrire les informations nécessaires sur un portail unique. Le parc Ageneau est constitué des marques Scania (plus de 50% de la flotte), Mercedes-Benz et Man. Et depuis 2020, de l'italien Iveco.


Arnaud Ageneau parle d’un jeu de « ping-pong » dans la récupération des données techniques. Son nouveau prestataire informatique utilise en effet les boîtiers des constructeurs… qui commercialisent une offre concurrente et vendent souvent trop cher le simple accès aux données. « Les concessionnaires tentent de nous vendre des offres télématiques packagées, horriblement chères, mais nous ne voulons par dépendre d’une marque de camion, ni utiliser 4 ou 5 logiciels de gestion de flotte, complexes et difficiles à comparer entre eux. C’est bien pour cela que les marques indépendantes d’informatique embarquée ont pu s’imposer sur le marché il y a une vingtaine d’années, et constituent toujours le meilleur compromis pour les transporteurs. Aujourd’hui, nous avons simplement besoin de récupérer des données simples, brutes, et pas à prix d’or ! Pas au prix des solutions complètes ! En ce moment, je discute avec les concessionnaires en ce sens… Il faut se battre un peu mais on y arrive. Pour moi, le bon tarif serait de cinq euros par mois et par véhicule. On n’y est pas encore… »


En ce début d'année 2021, le prix d'accès à des données minimales –  la géolocalisation, le téléchargement des données sociales, et quelques données moteur – varie de 9 à 12 €, 30 à 40 €, voire 50 € selon les marques. Une telle disparité fait réagir les transporteurs. D'ores et déjà, le tarif et la fiabilité, la disponibilité des données deviennent des critères d’achat des poids lourds. Sans une standardisation des prix à la baisse, cette tendance ne peut que s’amplifier.


Chez Ageneau, tous les achats de camions sont liés à des contrats d’entretien, qui nécessitent l'activation des boîtiers embarqués. En effet, les concessionnaires en ont besoin pour déterminer à distance les niveaux d’huile, les vidanges nécessaires, etc. « En conséquence, le distributeur paye la carte Sim — l’abonnement mensuel de téléphonie mobile, que nous utilisions ou non ces informations pour notre propre exploitation, explique le chef d'entreprise. c’est pourquoi les tarifs doivent être revus à la baisse. À mon avis, c’est aussi l’intérêt des concessionnaires et des constructeurs, qui pourraient vendre beaucoup plus d'informatique et capter ce marché s’ils réduisaient leurs marges. »


Pour l'heure, le transporteur dissocie ses données de parc et d'exploitation selon qu'elles proviennent des boîtiers embarqués, ou de l'informatique mobile en lien avec son TMS : « Nous gérons avec S3pweb la géolocalisation et les données sociales. Concernant toutes les informations liées à notre métier, à l’envoi de missions et à la gestion de parc, l’entretien et les réparations, nous utilisons le logiciel GPI Parc relié à l’application GPI sur smartphone. La solution mobile s’est révélée la plus pertinente, car elle est directement liée au TMS du même éditeur. Toutes les modifications saisies par l’exploitation ou par l’atelier sont répercutés sur l’application mobile, et vice versa. »


Parallèlement, le groupe Ageneau utilise depuis plus de 10 ans la solution du fabricant isérois HDM pour recueillir et analyser les consommations, indépendamment des constructeurs. Le boîtier EcoRecorder se branche sur la prise FMS. Il comporte également des capteurs de mouvement. Ce dispositif permet de noter les conducteurs en fonction de leurs performances au volant, et d’engager des actions d’écoconduite. Sur la base d’un parcours type effectué avant et après une formation, sur un camion alloué à un conducteur donné, le prestataire analyse nombre de données pour éditer un rapport complet. 


« Notre exploitation porte des écrans tactiles permettant à chacun de visualiser ses statistiques associées à des graphiques explicatifs, développe Arnaud Ageneau. Cette année, HDM travaille sur une application mobile qui permettra au personnel roulant d’accéder aux mêmes informations sur la route. »


La lecture et l’interprétation des données techniques, et en particulier des consommations, est un  métier d’expertise, qui demande un certain suivi. Difficile pour un transporteur de s’y retrouver seul. « Chaque fois que nous acquérons un nouveau modèle de véhicule, notre prestataire effectue une série de tests afin de vérifier la fiabilité des données constructeur, la manière dont elles sont présentées, et de calibrer le logiciel HDM en fonction. En effet, nous avons connu des surprises par le passé. Certains conducteurs obtenaient des notes surprenantes sur de nouveaux camions ! »


Des formats hétérogènes


Cette compétence rare est également celle de CGI formation, un cabinet référencé par les principaux groupements de transporteurs pour ses formations à la conduite rationnelle. Son dirigeant Christophe Ganon détaille avant tout le recueil des données permettant la progression du comportement au volant : « Il faut distinguer les informations recueillies via la prise FMS et celles qui sont directement récupérées sur le bus CAN. Il y a donc deux tuyaux, le premier uniquement de sortie, et le second, d’entrée et de sortie. Seuls les constructeurs ont accès à ce dernier, qui porte des données plus précises sur le fonctionnement d'un poids lourd (une brusque montée en température du moteur par exemple) et permet de brancher une valise technique sur l'engin, pour éventuellement apporter des correctifs ou des modifications sur le système électronique embarqué. Pour des questions de sécurité, le bus can est le domaine réservé des réseaux poids lourds. La prise FMS sert aux exploitants de données, les transporteurs comme leurs intermédiaires télématiques indépendants, et ne présente aucun risque de perturbations sur l’électronique. Pour notre part,  nous ne nous branchons pas directement sur le camion. Nous récupérons les données via les serveurs des constructeurs et des solutions télématiques. L'objectif est de recueillir le spectre le plus large possible d'informations. »


Certes, le FMS est une prise standard, mais qui débouche sur des formats hétérogènes. « Tel est le savoir-faire que nous développons, puisque nous sommes capables d'homogénéiser des informations disparates pour les analyser, et in fine, les comparer sur les mêmes bases. Faire le tri et l'adressage des données représente un travail de fond. Chez CGI formation, un informaticien est dédié à temps plein à ces intégrations. Chaque nouveau modèle de véhicule donne lieu à des développements spécifiques. A l'exemple du dernier Actros 5 de Mercedes-Benz (commercialisé en mai 2019), équipé d'un régulateur de vitesse prédictif. »


Précisons que l’objectif du régulateur de vitesse prédictif est de permettre aux poids lourds d’économiser du carburant, tout en assistant le conducteur. Le système prend automatiquement en compte la topographie, le tracé des routes et les panneaux de signalisation. Ainsi, freinages, accélérations et changements de vitesse inutiles sont évités, et la consommation de carburant est optimisée. Selon les constructeurs, le régulateur de vitesse intelligent et la gestion de la transmission permettent d’économiser entre 3 et 5 % de gazole.

La récupération de données passe toujours par l'accord du transporteur, mais aussi du personnel roulant, dont l'implication est essentielle à tous les niveaux. « Pour discuter avec le conducteur et juger avec lui son comportement de conduite, nous avons besoin d'informations fiables, indéniables. C'est à cette condition que la personne nous accorde sa confiance et accepte de progresser avec nous. En effet, nous réalisons des missions dans les entreprises pour appréhender des problématiques précises de surconsommation, dont nous devons trouver les raisons. Cela peut être dû au chauffeur, mais aussi à l'inadéquation d'un véhicule avec l'activité considérée. En moyenne, la part de la consommation associée à la conduite est de l'ordre de 15 %. Sur la base d'une semaine de roulage, nous sommes capables de définir les caractéristiques précises d'un comportement de conduite. Et pour tester un camion, nous réalisons des parcours avec trois niveaux de chargement différents et deux conducteurs, donc six situations. En réalité, on ne juge pas vraiment les performances d'un camion, mais de la meilleure plage d’utilisation en fonction des tonnages et des trajets effectués. »


Débrayer les automatismes


La confiance porte également sur la confidentialité des données. D'autant qu'avec le nouveau chronotachygraphe, le conducteur est décisionnaire quant au partage, ou pas, de ses données personnelles. En cas de litige, il a le dernier mot sur son patron. Les conflits sont heureusement assez rares. « Nous suivons environ 15 000 conducteurs. Deux ou trois fois par an, l’un d’eux soulève la question du recueil et de l'utilisation des données. Pour répondre à cela, nous avons conçu un tutoriel vidéo expliquant notre démarche dans le détail. Encore une fois, l'acceptation des personnes est essentielles. C’est un peu comme à l'école. Pour impliquer ses élèves, un bon professeur ne travaille-t-il pas avant tout sur le respect et la confiance ? »


La dimension humaine vient néanmoins contredire la stratégie des constructeurs, qui vont chercher à vendre de nouvelles technologies, de l'intelligence justement conçue pour se substituer demain au personnel roulant, et aboutir au camion autonome. « Notre objectif est différent. Il consiste à expliquer au conducteur la bonne utilisation du système camion dans son ensemble, et pas uniquement des nouveautés. Par exemple, les technologies de régulation ne sont pas adaptées à tous les types de route et tous les métiers du transport. Nous expliquons aux chauffeurs comment les utiliser, ou pas, selon les situations. Car même si ces outils s'améliorent, et apportent un confort indéniable, nous constatons aujourd'hui encore qu'un bon conducteur reste meilleur que tous les régulateurs, constate le directeur de CGI, qui est d’ailleurs partenaire technique de l'événement « Conducteur de l'année » organisé par notre confrère France Routes. « Nous vérifions que l'outil est bien utilisé. Dès que nous sommes sur des routes avec des relances, le régulateur est souvent pervers. Le chauffeur le coupe en appuyant sur le frein ou en engageant le ralentisseur. Il manque alors d'anticipation. Résultat, puis il y a de technologies, plus nous abordons avec les chauffeurs la question de débrayer les automatismes ! ».


C'est pourquoi, lorsqu'il démarre une mission chez un transporteur, Christophe Ganon tient d'abord à connaître l'usage du régulateur. « Avec un régulateur intelligent, le conducteur se contente de tourner le volant. Tout le reste est géré par le calculateur, en toute opacité puisque les constructeurs ne transmettent pas ces informations. Quand le régulateur est engagé, nous ne connaissons que la distance parcourue et la consommation. Si le camion freine bien ou mal, nous n'en savons rien. Même chose pour la qualité d'accélération.  C'est pourquoi nous dissocions les données selon qu'elles sont recueillies avec ou sans régulateur. En effet, si l'on se réfère au “scoring” constructeur, nous avons constaté qu'un conducteur qui utilise le régulateur a toujours une meilleure note qu'un autre qui l'utilise moins. »


L'évaluation est donc attribuée en fonction de la proportion d'utilisation du système automatique, ce qui dans certains cas, fausse clairement les performances de conduite. Cette logique est pernicieuse. Elle pousse les personnes à un usage excessif du régulateur, pour adopter un comportement de confort, laisser faire la machine au détriment de la performance. Il est alors difficile de développer les compétences des hommes au volant.


La question des « temps de moteurs tournant à l'arrêt » est également intéressante pour expliquer la complexité des données recueillies. « Pour bien analyser ce paramètre, il faut le croiser avec le nombre d'appuis sur la pédale de frein et les données GPS, et identifier les traversées d'agglomérations. Ainsi, nous pouvons dissocier les arrêts de circulation des arrêts moteur allumé attribuable à la négligence des chauffeurs, explique le formateur de CGI. D'ailleurs, nous développons actuellement un nouveau modèle d'analyse qui va nous permettre d'établir un système de notation sur mesure, selon les entreprises – leurs activités, leur parc roulant, leur trafic – en intégrant à la fois les données constructeur et des télématiques indépendantes. Cette nouvelle version de Fuel Cost fait l'objet de tests chez nos clients depuis le mois de janvier. Elle sortira avant l’été 2021. »


La maintenance prédictive en devenir


Le recueil et l'exploitation des données techniques touche à la formation des conducteurs, aux nouvelles technologies de la chaîne cinématique, à la stratégie des constructeurs mais aussi à celle des distributeurs de véhicules industriels. L'un des premiers d'entre eux, Nicolas Lenormand, est à la tête de la Socrec Renault Trucks à Creil et Garges, au sein d'un ensemble familial employant 600 personnes et qui réalise plus de 150 millions d'euros de chiffre d'affaires, uniquement en B2B, sur les activités de poids lourd, de chronotachygraphe, et de chariots élévateurs. « Né à Beauvais il y a une centaine d'années, notre groupe a accompagné les besoins de ses clients transporteurs, relate le chef d'entreprise, qui occupe également la fonction de président du CNPA (Comité national des professions de l'automobile). Nous voyons aujourd'hui émerger dans nos concessions de nouveaux métiers de gestionnaires de parcs et de pilotage de la maintenance informatisée. »


La maintenance connectée et prédictive, au même titre que le régulateur intelligent, se nourrit d'une accumulation de données et d'algorithmes dont les plus perfectionnés tendent à l’intelligence artificielle. Chez Renault Trucks, le programme Predict est apparue en 2019 sur les véhicules longue distance avant d'être proposé sur les camions de chantier en 2020. « La remontée, l’analyse et l’exploitation des données sont associées aux 35 cellules de maintenance labellisées et les ateliers agréés, avec un objectif : 98 % de disponibilité des véhicules, affiche la marque au losange, qui explique : « Le camion transmet tous les 3 jours des données concernant l’usure de certain de ses composants (cartouches de dessiccateur, plaquettes de freins, disques d’embrayage, batteries). Ces infos sont utilisées pour construire des graphes d’usure et réaliser une projection théorique de « fin de vie » des composants. »


« Predict envoie des alertes pour prévenir les défaillances, en s'appuyant sur des informations directement liées au risque de panne (état de la charge de la batterie tous les matins, pressions d’air avant et après le turbo, etc.), complète Nicolas Lenormand. Ces informations représentent la partie immergée de l'iceberg. Elles ne sont pas remises au client, mais nous nous en servons lorsque nous mettons en place un tel contrat d'entretien. Cette prise en charge complète oeuvre à la tranquillité d'esprit de notre client. Nous l'appelons quand le véhicule au passé aux mines, au tacky. Nous réduisons autant que possible l'impact de la maintenance sur l'exploitation du véhicule. »


 « Nous sommes encore au tout début de ce système, quelques clients se sont lancés mais ils sont encore isolés, reconnaît le distributeur. Néanmoins, l’incidence sur notre métier est importante, ainsi que la relation avec le constructeur, puisque nous sommes amenés à renouveler des organes avant qu'ils ne tombent en panne !


Si les constructeurs annoncent des volumes importants de véhicules connectés en France – 26000 VI pour Volvo Trucks, 33 000 VI pour Scania par exemple – c'est bien pour répondre à leurs desseins de maintenance préventive, mais aussi pour analyser les performances des moteurs en situation réelle, et optimiser leur propre schéma de production. La plupart proposent des solutions complètes d'informatique embarquée, dissociées des contrats de maintenance depuis 5 à 10 ans, mais aucun ne s'est réellement imposé sur le marché de la gestion de flotte, malgré la densité de leur réseau de vente — comme l'illustre la Galaxie  informatique du transport.


Ce paradoxe s'explique par la complexité des métiers du transport et des interfaces nécessaires entre l’informatique embarquée et les logiciels de transport. Aussi pertinente soit-elle, une solution télématique ne peut se suffire à elle-même. Pour servir le transporteur, il faut qu'elle s’intègre pleinement dans l'exploitation. Force est de constater que les constructeurs ne sont jamais entrés dans l'informatique d’entreprise. En outre, la grande majorité des transporteurs utilisent plusieurs marques de véhicules, dont on a vu et que les données remontées sont très hétérogènes. Difficile dans ces conditions de comparer les performances des camions comme des chauffeurs.


« Les constructeurs n'ont pas la compétence de l'exploitation logistique des matériels, car selon les métiers, les besoins sont très différents, analyse Nicolas Lenormand. L'industriel ne peut pas savoir quel sera l'utilisation d'un véhicule sorti d'usine, à quelle semi-remorque il sera associé, etc. En pratique, si un client dispose déjà d'un système informatique embarqué, il n'est pas question de l'en faire changer, car il en a besoin pour l'ensemble de son parc. En général, ce système est interfacé avec un logiciel de transport. Tout cela forme un tout cohérent. En revanche, si le transporteur part d'une page blanche, qu’il n'est pas encore informatisé, nous avons différentes solutions à lui proposer. Soit une offre constructeur, soit un dispositif mixte en fonction de la typologie des véhicules utilisés, donc du métier. Est-ce que le transporteur a besoin de suivre la chaîne du froid, les ouvertures de hayon ? Est-ce que sa priorité concerne l’écoconduite, avec un suivi des performances des chauffeurs ? Sur ce terrain, nous recommandons l'utilisation du logiciel constructeur pour optimiser le prix de revient kilométrique. C'est un argument de vente important. Nous examinons donc les besoins d'optimisation, ou en termes de sécurité du transport et d'aide à la logistique de notre client. Selon les cas, nous travaillons donc sur les solutions constructeurs, ou de nos partenaires Wabco ou VDO, Masternaut, Actia, etc. »


Bien étudier les CGU


Président d’Astre, le principal groupement de transporteurs logisticiens en Europe, avec 160 PME adhérentes, 382 implantations et 27 000 immatriculations, Denis Baudouin confirme : « Très peu d'adhérents Astre sont équipés des ordinateurs de bord des constructeurs. Nous avons conclu des accords avec nombre d’opérateurs indépendants tels que Transics, Trimble ou AddSecure, pour ne citer que les principaux. La très grande majorité des Astriens utilisent ces outils. Nous avons même vu des transporteurs investir dans des solutions constructeurs, avant de faire marche arrière, car ils ont rencontré des difficultés techniques. »


À la tête des transport Baudouin (79) et de sa branche Viafroid, Denis Baudouin exploite 150 PL équipés d'une informatique Transics intégrée au TMS Proxylog de l'éditeur Xyric. « Lorsque vous êtes équipé d'informatique embarquée, il n'est pas évident d'en changer, tant les interactions entre ces solutions et nos autres logiciels d'entreprise sont étroites – les TMS, mais aussi les logiciels de de parc, de gestion sociale, de paie, poursuit le patron de flotte. Au fil du temps, nous avons demandé à notre fournisseur de multiples développements spécifiques, des sets d'instruction adaptés à nos métiers, pour obtenir une grande fluidité des informations transmises entre la route et l'entreprise. On ne reconstruit pas une telle organisation simplement parce que l'on en a envie ou qu’une nouvelle offre attractive se présente ! Les implications financières et sur les processus de travail de nos collaborateurs demandent une réflexion bien mûrie, un cahier des charges, etc. En outre, on ne peut pas considérer que le coût de l'ordinateur, mais aussi le service rendu. Est-ce que quelqu'un vous répond lorsque vous avez un problème ? Quelles sont les interfaces possibles et dans quels délais ? Jusqu'à présent, les constructeurs ne se sont pas montrés au niveau de leurs concurrents spécialisés. »

 

Dans le choix d'une solution télématique, Denis Baudoin soulève aussi la question de la protection et du commerce des informations : « Nous mettons en garde nos adhérents sur la préservation de leurs données, même si chaque PME est parfaitement indépendante dans ses choix. Il est important de prendre la peine d'étudier les conditions générales de vente et d'utilisation avant de signer un contrat. Et rester vigilant. Qu’il s'agisse des télématiques indépendantes ou des constructeurs, mais aussi des fabricants de groupes frigorifiques, de pneumatiques, de système de freinage… tout le monde veut nous vendre de la traçabilité. Les GPS sont partout. Il n'est pas question que nous continuions à confier nos données à ces partenaires en toute « innocence ». S'il est vrai que le RGPD (Règlement (Général sur la Protection des Données) est assez récent, et qu'il faut laisser à chacun un peu de temps pour s'adapter, nos fournisseurs sont amenés à revoir leurs CGU pour nous rassurer sur ces questions. En effet, qui nous dit que ces sociétés, et même les constructeurs, ne seront pas rachetés demain par des acteurs plus gros qu’eux, les Google et autres géants américains ? »


C’est en « bonne intelligence » que le président d’Astre compte conduire ce chantier, en particulier vis-à-vis des industriels du poids lourd, qui sont avant tout considérés comme les partenaires historiques des transporteurs. « Ces données sont les nôtres. Nous comprenons que les constructeurs veuillent les utiliser en interne, pour optimiser la durée de vie des véhicules, mais nous voulons également pouvoir les exploiter, et les partager gratuitement ou au prix minimal, selon nos conditions. Il ne faut pas que le business des données se fasse à nos dépens. »


Une capture systématique des données


Le diable se cache parfois dans les détail des CGV pour Johan Tielemans, fort d'une carrière télématique de plus de 20 ans à la direction générale de Transics, puis Groeneveld et Blue Tree Systems. Aujourd'hui président du cabinet de conseil Scaldis, le consultant conseille les transporteurs dans leurs achats informatiques. « J’ai accompagné en 2020 une PME dans le renouvellement de son informatique embarquée. J'ai analysé les conditions générales de plusieurs acteurs. Les CGV-CGU reflètent bien la stratégie des fournisseurs de deuxième monte. Certains exigent de pouvoir utiliser librement les données qui transitent par leurs solutions. D'autres s'attribuent carrément la propriété des données dès lors que le contrat est signé ! Le transporteur peu vigilant cède tous ses droits sans même s'en rendre compte. »


Certaines sociétés télématiques proposent manifestement des tarifs attractifs associés à une capture systématique des données. Dans quel objectif, si ce n'est de capitaliser sur ces informations pour leur apporter de la valeur analytique, et les revendre ensuite au meilleur prix ? « Ces investisseurs s’intéressent aux entreprises télématiques dont les clients sont captifs, tels les transporteurs, qui peuvent difficilement changer de fournisseur. Ces dernières années, j'ai été frappé par la baisse des prix de l'informatique embarquée. La seule explication : développer d'autres services pour compenser. »


Le principe bien connu “si c'est gratuit, c'est vous le produit !” s’applique bien ici. Un exemple de clause abusive : Un prestataire exige « un droit de propriété intellectuelle » permettant « d’utiliser et de disposer des données provenant des véhicules du client afin de permettre de développer ses concepts et ses services commerciaux. Le client identifie le fournisseur comme le propriétaire de tous les droits sur les données. » Chez un autre fournisseur, le client reste propriétaire, mais le prestataire peut utiliser librement les données « anonymes ». Dans des termes un peu barbares, on parle d’anonymiser, d’anonymer (selon que l'opération est réversible ou définitive), voire de pseudonymiser les données à caractère personnel. Dans ce dernier cas, la personne physique est toujours susceptible d'être identifiée indirectement.


« Rendre anonyme les données, telle est l'astuce trouvées par les constructeurs et les fournisseurs de télématique pour utiliser les données des transporteurs comme bon leur semble, en conformité avec le RGPD, pensent-ils, constate Johan Tielemans. Les sociétés informatiques sont en effet capables de produire du big data, c'est-à-dire d'utiliser les données des transporteurs associés à une multitude d'autres informations pour créer une nouvelle valeur ajoutée. » 


En l'absence d’une jurisprudence suffisamment claire, il existe encore un flou juridique sur le fait de considérer des données comme personnelles, donc protégées par le RGPD. L’anonymisation permet-elle de se soustraire à ce règlement ? « La Cour de Justice Européenne a jugé en 2016 que les données provenant des véhicules doivent être considérées comme des infos à caractère personnel pour toute entreprise capable de les relier à un particulier, répond le consultant. Tant que la référence à un individu existe, ces données sont qualifiées comme personnelles. En particulier, le transfert d’un véhicule connecté à un serveur d’entreprise aboutit logiquement à cette qualification. C'est le cas des données générées par les systèmes de télématique embarqués installés en première ou en deuxième monte. »


En particulier, le droit de recevoir et transmettre ses données à des tiers (droit à la portabilité des données, Art 20 GDPR - Sec 3) devrait avoir un impact significatif sur les données des VI connectés. « Bien que la plupart des données provenant des VI soient aujourd’hui de facto la propriété des fabricants, il ne s’agit pas nécessairement d’une situation définitive. Le droit à la portabilité des données atténuera les effets de «verrouillage» mis en place par les constructeurs automobiles. Ces derniers, comme les fournisseurs de télématique tiers, devront s’assurer que les données puissent être transférées vers d’autres systèmes, ce qui facilitera le changement de marque. »


L’ensemble de cet écosystème est donc en construction juridique, avec un jeune texte RGPD dont on peine encore à comprendre les contraintes, tandis qu'un nouveau règlement européen sur la confidentialité et les communications numériques — e-Privacy — pointe déjà à l'horizon. « Il sera interdit aux constructeurs de véhicules de vendre ou louer des "véhicules connectés" si ceux-ci ne sont pas conformes aux normes de partage de données imposées par l'UE, avance Johan Tielemans, tout en reconnaissant que la plupart des transporteurs accordent peu d'importance à ces questions, sans doute parce qu'ils sous-estiment la valeur de leurs propres données, et les possibilités d'exploitation. « Les entreprises devraient s'inquiéter de la propriété des informations, car les véhicules contiennent maintenant une grande quantité de data relatives à la vie privée, à la géolocalisation, à la gestion opérationnelle et commerciale de l’entreprise. Celles-ci présentent donc un grand intérêt pour diverses parties, des entreprises prédatrices, voir des criminels. » Et de conclure : « En réalité, la bataille pour le véhicule autonome a déjà commencé. Les investisseurs des plateformes informatiques constituent des porte folio de données issues des entreprises de transport, pour les revendre à de plus grosses plateformes. Naturellement, être propriétaire d'un maximum de données augmente permet de maximiser la valeur de son entreprise, donc de la future vente. »

Wilfried Maisy 




Social : le maillon faible des constructeurs


La géolocalisation, ça roule. Les données moteur suivent assez bien. Mais là où le bas blesse, c'est sur le social. Les solutions informatiques embarquées conçues par les fabricants de VI ne font pas le poids sur ces questions pourtant essentielles, directement liées à l'activité des entreprises. En cause : le téléchargement à distance des heures de conduite, et des fichiers légaux. Nombre de transporteurs rapportent de malheureuses expériences : 


Le contrat signé, la promesse initiale n'est pas tenue. Les difficultés se répètent pour  récupérer ses données sociales. Mis en cause, le constructeur botte en touche. Il renvoie parfois son client vers le fabricant de tacky. Il faut attendre une mise à jour logicielle plusieurs semaines, voire six mois ou plus, patienter jusqu'à la livraison des prochains véhicules… Mais dans l'immédiat, le transporteur est bloqué. Il ne sort pas sa prépaye ! Il doit revenir « à l'ancienne », et vider les cartes conducteurs sur des bornes. Il tente bien de trouver un raccourci dans des « road map » informatiques à rallonge… et constate que les difficultés peuvent revenir à chaque renouvellement de VI, mais aussi de chronotachygraphe.


Chaque évolution de chrono est susceptible d'engendrer des dysfonctionnements dans la remontée des données sociales. Si les télématiciens indépendants ont l'habitude, et anticipent les développements nécessaires, les constructeurs sont moins véloces. Lorsqu’on exploite un parc PL mixte, cela devient très compliqué. 

Le transporteur qui tient néanmoins à emprunter cette voie fera bien d'effectuer un test sur un ou deux véhicules avant d'engager toute sa flotte. 



S3pweb : « Pass Sécurité, une porte d'entrée unique pour les plateformes »


Emmanuel messager, Directeur général de S3pweb, s'attaque à la sécurisation des données GPS transmises à des tiers, et développe la solution Pass Sécurité en lien avec la télématique constructeur, dans un objectif de standardisation.


« Le Pass Sécurité, c'est notre axe de développement depuis le mois de novembre 2020. Le principe : nous collectons les données de géolocalisation sur la télématique de première monte ou de deuxième monte du transporteur, et partageons ces informations de manière ciblée avec un confrère, un client, ou une plateforme de traçabilité. À ce jour, nous avons développé des interfaces avec les plateformes Fourkites, Project44, Sixfold et Ophone et GedMouv.


Admettons qu'un transporteur travaille pour Exxon, et qu'il doive renseigner ses positions sur Fourkites. Nous devenons l'interlocuteur télématique du pétrolier. Le transporteur sollicité pour fournir de la traçabilité renvoie son client à la solution Pass Sécurité. Nous collectons l'ensemble des immatriculations, et fournissons un filtre au transporteur pour qu'il puisse communiquer les données voulues. Nous allons donc exposer sur la plateforme d’Exxon uniquement les immatriculations des véhicules concernés. Dès lors que le transporteur a affecté une ressource à une commande Exxon, ce dernier nous fait une demande d'ouverture de flux sur le Pass Sécurité en fonction des éléments de la commande. La demande validée par le transporteur, nous ouvrons le « tuyau ». Le chargeur a ainsi accès aux positions sur un trajet donné, entre deux points définis.


Le Pass Sécurité est commercialisé entre 1€ et 2€ par mois et par véhicule. Plusieurs transporteurs qui roulent pour Leroy Merlin par exemple, se sont abonnés. La solution est également déployée chez Geodis pour la collecte des datas de l’ensemble de ses sous-traitants en Europe.


Ce processus permet de restreindre l'accès aux données. Un chargeur et son intermédiaire ne peuvent suivre l'ensemble des véhicules tout le temps, même s'ils se sont solennellement engagés à ne pas utiliser les données… Rappelons qu'aujourd'hui, les plateformes viennent se greffer directement sur la télématique transporteur. Nous venons en coupure, en interlocuteur unique. Nous collectons la géolocalisation et les plateformes s'en remettent à nous.


Il n'est pas question de réduire la traçabilité promise au client mais simplement d'éviter que quelque intermédiaire n'utilise ces données pour reconstituer les plans de transport. Car il est très facile de déduire des positions géographiques recueillies pendant un mois les principaux clients, les points de chargement et les lignes régulières effectuées. Et cela uniquement avec les données GPS ! Sans même parler des corrélations possibles avec d'autres infos techniques et les temps d'activité des chauffeurs… Très simplement, lorsqu'on amalgame ces données entre plusieurs transporteurs, nous pouvons croiser les flux et déduire des pistes d'optimisation globale. Le fonds de commerce des transporteurs, c'est ce que nous voulons essayer de protéger.


S3pweb a lancé la télématique Map&Truck en juillet 2020. Nous proposons une solution de gestion de flotte universelle qui permet d’afficher les informations télématiques de 1ère monte. Depuis le portail Map&Truck, l’exploitant accède à de nombreuses données pour suivre et optimiser la gestion de sa flotte : géolocalisation, données sociales, données techniques, températures frigos. Le tarif va de 5 à 7 € HT / mois / VI selon les options choisies.


Map&Truck s'installe très facilement si le transporteur a déjà des abonnements activés chez les constructeurs. En revanche, le parcours est plus long quand il part d'une feuille blanche. Il doit alors souscrire autant d'abonnement qu'il a de marques de VI à des coûts très variables.

Nous travaillons donc à standardiser cette offre. Nous avons rencontré l'ensemble des constructeurs ces derniers mois. Nous leur avons proposé un projet d'intention pour la création d'un forfait unique, quelle que soit la marque, intégrant les données dont nous avons besoin. Si notre démarche aboutit, le transporteur souscrirait un seul abonnement « Data Access » chez le constructeur de son choix. Le contrat serait établi avec les constructeurs, et indirectement avec les concessionnaires. Le transporteur n'aurait plus qu'à demander l'activation du service auprès de son distributeur. Ce forfait unique devrait inclure la géolocalisation, le téléchargement des données sociales (fichiers C1B- V1B), et quelques données techniques, le kilométrage et le taux de remplissage du réservoir. »




Eliot : « Nos solutions sont compétitives »


Gilles Kitchiguine, Directeur du développement de l'éditeur de logiciels transports OMP, confronte la solution informatique embarquée Eliot et les télématiques constructeurs.


« Tout d'abord, nous ne récupérons pas les mêmes natures d’informations sur les prises FMS et les standards FMS, selon les générations de véhicules. Seules les versions FMS V3 & V4 (mises en place respectivement en 2012 en 2017) apportent suffisamment d'informations pour nous permettre de proposer des indicateurs autorisant une politique d’écoconduite satisfaisante. Nous avons travaillés sur la comparaison de nos données  avec celles des constructeurs (Volvo, Scania, Mercedes…) afin de proposer à nos clients une solution homogène, quelle que soit la marque, et comparer les véhicules ou les conducteurs entre eux.


La technologie rFMS permettant de mettre à disposition les données FMS au travers d’API n’est pas généralisée à ce jour. En outre, un transporteur intéressé par l'utilisation du boîtier constructeur embarqué de série doit considérer l’impact financier de la mise à disposition des données rFMS, ainsi que le coût d’intégration et l’agrégation des données ; et comparer ce prix global avec celui d’une solution télématique telle qu’Eliot. En définitive, nos solutions restent compétitives à tous les niveaux, économique, mais aussi sur le plan de la responsabilité de la donnée, et des fonctions proposées.

         

En effet la solution télématique Eliot ne se positionne pas uniquement sur l'éco conduite, mais aussi sur  la gestion des données sociales et légales, la messagerie, le partage de documents, les check-list pour la prise de service (avec le terminal mobile Eliot 714D), la gestion des missions intégrant les processus de dématérialisations (protocoles de sécurité, lettre de voiture, e-cmr,), la gestion des frais. Autre argument d’importance : En cas d’anomalie, le passage en concession n’est pas nécessaire comme pour les solutions constructeurs, nous sommes en mesure de proposer un service « hot swap » avec échange à j+1 garanti pour le SAV.


Notre rôle est de servir nos clients, donc de les mettre en garde contre l'exploitation de leurs données par des tiers, qu'il s'agisse des constructeurs ou des plateformes de traçabilité. Fournir toutes ses données GPS sans filtre, c'est comme faire un chèque en blanc ! 





Alertgasoil : du vol de carburant au big data « consos »


Du réservoir connecté à une gestion de flotte globale, Alertgasoil analyse de plus en plus de données techniques et sociales. Les explications d’Éric Elkaim, Pdg de la société marseillaise.


« Si notre cœur de métier reste le suivi de la consommation de carburant – que nous déclinons par tournée, par véhicule et par chauffeur pour en déduire une mesure précise des consommations de CO2 – nous nous distinguons des solutions télématiques existantes. En effet, nous ne travaillons pas sur les données moteur via la prise FMS, mais sur des litres réellement absorbés au niveau du réservoir. Nous mesurons le stock disponible grâce à une jauge reliée à un boîtier GPS-GPRS, lequel remonte les informations sur notre plateforme toutes les 90 secondes. Notre système couple donc en temps réel le niveau de la jauge aux données de géolocalisation horodatée. S'il détecte une baisse brutale du niveau, l'équipement adresse automatiquement une alerte. Le pilotage automatique des gaspillages est facilité par la détection en temps réel des vols et des temps où le moteur est allumé alors que le véhicule est à l’arrêt, par exemple. Nous comparons les données du réservoir à celles de cartes d’achat de carburant en station ou de ravitaillement en cuve. 


Mais aujourd'hui, pour couvrir plus largement le marché informatique embarqué, nous intégrons les données sociales, avec le téléchargement et l'archivage des fichiers légaux. Cette démarche nous a permis de passer un cap auprès des grands groupes de transports et des chargeurs. L'ensemble de la flotte de Stef est équipé de notre solution sur 1800 véhicules. Nous contrôlons ici 70 000 pleins par mois. Citons également Saint-Gobain (1300 VI), ou encore Derichebourg dont nous équipons les 2 filiales (recyclage et polyenvironnement) soit environ 600 VI


Toutes les données remontées par Alertgasoil sont mis à disposition de nos clients via des Web services, pour être intégrées sur une application mobile par exemple. Nous mettons à disposition une bibliothèque de service pour alimenter des fournisseurs tiers tels que S3pweb, par exemple.


Nous proposons aujourd'hui plusieurs formules à partir de 19,90 € par mois et par véhicule, matériel compris. L'option gestion sociale revient à 10 €. Notre offre la plus simple est en vente publique chez des concessionnaires poids lourds et dans des réseaux d'atelier. 220 points de vente ont signé un contrat de distribution, et vont intégrer notre offre en 2021. Au niveau européen, nous allons prochainement conclure un partenariat avec un réseau fort de 700 ateliers.



Webfleet : vers la tablette autonome


Armé d'une nouvelle tablette, le fournisseur télématique Webfleet se branche directement sur les boîtiers constructeurs, mais pas que ! Les explications d’Annick Renoux, Directrice des ventes de Webfleet France. 


« En janvier 2021, nous avons annoncé une interconnexion avec l'informatique embarquée de série dans les véhicules Mercedes-Benz. L'idée est de se dispenser d'un boîtier Webfleet, et de mettre en place des protocoles de communication entre notre entreprise et le constructeur, afin de recueillir les données du boîtier allemand pour les faire apparaître sur notre plateforme. Cette dernière intégration complète notre portefeuille d'interface, et nous permet de répondre à différentes problématiques. Parallèlement, nous venons de lancer la nouvelle tablette Pro 8475, ouverte aux services Google. Cette dernière peut fonctionner sans connexion à notre boîtier GPS-GPRS.


Dans le prolongement de cette démarche, pour adresser les parcs mixtes, nous comptons récupérer des données hétérogènes issues des différents constructeurs, pour en définir le dénominateur commun et les présenter au transporteur. Cela dit, si ces données minimales répondent à un besoin, nous concentrons nos développements sur des services à plus forte valeur ajoutée, au contraire, et de plus en plus pointus. Nous développons par exemple la vidéo depuis le début 2021, en installant des caméras en cabine, à l'intérieur et à l'extérieur, pour améliorer la sécurité du conducteur. Nous allons également recueillir des informations pneumatiques en lien avec Bridgestone, notre maison-mère.


En effet, Webfleet s'attache à toutes les composantes informatiques d'une entreprise de transport. Nous nous connectons aux logiciels d'exploitation et aux plateformes de traçabilité, mais aussi aux outils de gestion de parc, de paye, etc. Nous récupérons sur la prise FMS des données techniques qui sont associées à celles de géolocalisation, notre métier de base, pour fournir aux transporteurs et à leurs clients des ETA. 


Lorsque nous allons voir un transporteur, nous commençons par analyser toutes les briques informatiques  utilisées, pour comprendre son métier, les moyens de communication existants avec les conducteurs, et proposer la solution la plus pertinente. In fine, nous collectons les données de la route (GPS, consommations, comportement de conduite, kilométrage, etc.) et les transmettons via nos API à l'informatique d'entreprise. Ces mêmes interfaces de programmation nous permettent de proposer d'autres services tels que la lettre de voiture électronique (e-CMR à l'international), en partenariat avec des fournisseurs spécialisés. »




Shippeo : pour un GPS irréprochable


Directeur général et co-fondateur de la plateforme de traçabilité Shippeo, Lucien Besse analyse les sources de données GPS, pour un suivi de plus en plus prédictif.


« Shippeo recueille les positions GPS via différentes sources de données : les téléphones mobiles, l’informatique embarquée, mais également des systèmes de gestion du transport (TMS). La première option est adaptée à de petits transporteurs ou de l'affrètement spot, mais une intégration avec des télématiques ou les TMS des transporteurs donne accès à des données plus fiables, pour une visibilité prédictive et en temps réel sur les livraisons. Aujourd’hui 90 % du tracking de transport routier est réalisé via ces sources.

 

De fait, les grosses PME de transport et les organisateurs logistiques ont recours à de l‘informatique embarquée et/ou à des systèmes TMS. La qualité et la richesse des données recueillies diffèrent. Pour recevoir des infos en temps réel et calculer une heure estimée d’arrivée (ETA) précise et fiable, la fréquence du signal GPS doit être irréprochable. Or les téléphones mobiles n’automatisent pas suffisamment la récupération des positions comme peut le faire la télématique. En effet, le téléphone doit être allumé et la batterie suffisamment chargée, dans une zone de réception, et le conducteur doit faire des manipulations sur son mobile. Même si les téléphones peuvent généralement produire un signal GPS à intervalles réguliers, le fait que la réception puisse être perdue très facilement affecte considérablement la performance du tracking et la qualité de l’ETA.


Shippeo collecte des données à partir de plus de 700 systèmes dont la grande majorité des fournisseurs d’informatique embarquée en Europe grâce à une API unique. Au-delà du GPS, l’informatique embarquée permet en effet de récupérer beaucoup de données sur le véhicule. Nous constatons un intérêt croissant sur le marché pour ces informations, à l'exemple du nombre réel de kilomètres parcourus pour calculer l’impact carbone. Nous travaillons notamment avec le constructeur allemand Krone Trailer sur ces questions. Mais la majorité de nos clients sont des chargeurs, dont l’enjeu majeur reste le positionnement en temps réel et prédictif sur les livraisons.


En outre, l’application mobile de Shippeo offre une visibilité jusqu'au niveau de l'unité logistique. L'application permet de scanner le code SSCC unique d'une palette, ce qui facilite également la récupération des palettes perdues. Notre application intègre également la lettre de voiture électronique (ou eCMR), pour une preuve de livraison dématérialisée et une facturation rapide. 




De la fiabilité selon Trimble


Comment recueillir les données, les consommations, et pallier aux marges d'erreurs ? Fabien Dusserre, Directeur du fournisseur d'informatique embarquée Trimble Transport & Logistics France, détaille ici les points de vigilance.


« Il existe certaines disparités dans le détail et la fiabilité des données selon les constructeurs et les types de véhicules, que nous maîtrisons assez bien. Sur les capteurs embarqués, notre expérience nous permet de jouer sur les paramétrages et de corriger les écarts si besoin. Sur les chronotachygraphes, les données sont quasiment toujours fiables. La difficulté est de bien régler nos systèmes en fonction du type et de la génération de tachy. A noter une faiblesse sur certains tachy Stoneridge SE5000 : l'échantillonnage de la vitesse étant bridé, nous n’accédons pas aux impulsions à la milliseconde permettant de calculer les accélérations et les freinages brusques. On retrouve ce phénomène sur de nombreux camions Scania qui sont livrés par défaut avec ce matériel. 


Concernant le standard FMS, les données sont assez précises mais il faut tenir compte de la marge de tolérance technique. Celle-ci est de +/- 3% sur la consommation. Tous les constructeurs profitent des progrès de l'électronique moteur (c'est particulièrement vrai depuis les générations Euro 6) pour "jouer" avec la tolérance systématiquement en leur faveur, et démontrer que leur véhicule consomme peu. 


Résultat : lorsqu'un camion consomme en réalité 30 l/100, la marge de tolérance permet d'afficher 29,1 l/100. Presque 1 l/100 de gagné en toute légalité ! C’est ce qui explique que les gestionnaires de flotte qui comparent les litrages FMS aux litrages pris à la pompe ont toujours l'impression d'avoir "de l'évaporation". Donc, si cette différence est de l'ordre de 3%, elle est "normale" car voulue par le constructeur. Par contre, si elle est sensiblement supérieure à 3%, et si de surcroît, elle a tendance à fluctuer, il s'agit peut-être d’un vrai problème d'évaporation qu'il faut analyser plus en détail.


Depuis que les nouveaux camions sont très souvent équipés en usine de la télématique constructeur, nous observons que ces derniers font beaucoup moins d'efforts pour fournir en standard une prise FMS disponible et activée. Bien souvent, le client doit réclamer haut et fort lorsqu'il passe commande, pour ajouter cette option dans la configuration du véhicule. La propagande de la télématique constructeur est telle que le réseau de vente a tendance à oublier que cette option est toujours très utile aux clients ! Même lorsque la prise est montée en usine sur certaines gammes, il arrive qu’elle ne soit pas activée, ce qui nécessite un passage en atelier avec une perte de temps et des frais supplémentaires à la clé… A noter que DAF est le seul constructeur à jouer le jeu depuis des années sur ses gammes CF et XF avec une prise FMS disponible et activée en standard d'usine. Faut-il y voir une coïncidence ? DAF est l’un des derniers constructeurs à ne pas fournir de télématique montée en usine (la solution DAF Connect est installée par le réseau en France).


Toutes ces informations sont capitales pour nous et nos clients, puisqu'elles permettent d'analyser la qualité de conduite et la consommation de carburant, via le portail Performance. Nous y avons ajouté l'an dernier des outils destinés à influencer le comportement au volant. Avec la fonction Coach Assistant, les formateurs peuvent faire les retours adéquats aux conducteurs. Le nouvel affichage Driver Scorecard (tableau embarqué d’évaluation conducteur) motive les hommes à adopter une conduite plus sûre et économique.


La qualité de notre module Performance a un impact essentiel dans le choix télématique d'un transporteur. En effet, la part de ROI (retour sur investissement) portée par la réduction de consommation gasoil est la plus importante et souvent, la plus facile à "aller chercher". Trimble ne communique pas sur une promesse de gain mais nombre de nos clients ont mesuré une baisse de consommation moyenne de 1 l/100 en moins d'un an, ce qui représente environ 100 000 € de gain pour une flotte de 100 poids lourds. Ainsi, l'investissement du module Performance pour un client déjà équipé des boîtiers Trimble s'amortit en moins de 3 mois.


Quelques clients Trimble en France qui utilisent Performance : Groupe XPO (69), Groupe Charles André (26), Groupe Mousset (85), Courcelle (31), Delmotte (02), Eychenne (31), Hemmerlin (68), Socafna (66), TVE logistique (03). »





Idem : l’intégration côté remorque


Romaric Bailly, Responsable télématique de BPW France (filiale Idem Telematics), développe les interfaces possibles avec le boîtier GPS-GPRS Gateway installé dans une semi-remorque.


« Idem telematics peut recueillir les données techniques relatives aux performances d’un véhicule de plusieurs façons : Lorsque qu’une unité télématique équipe un véhicule en première monte, notre solution permet de récupérer les données envoyées sur les bases de données des équipementiers. A défaut, si le véhicule possède des équipements permettant une lecture des données par un tiers (enregistreur de température, jauge électronique, capteurs de pression pneumatique installés en première monte, etc…), nous avons développé les protocoles nécessaires pour « lire » les données et les transmettre sur notre portail directement. À défaut de tels équipements, nous fournissons un boîtier communicant ainsi que des capteurs permettant de récupérer toutes les données souhaitées par le client.


Le tout peut être installé en première monte chez les constructeurs de semi-remorques, ou à posteriori, y compris dans les ateliers des transporteurs (avec une formation). Nous proposons donc de collecter l’ensemble des données d’un véhicule quelle que soit sa marque, celle de l’EBS, des essieux ou du groupe frigorifique. Ces informations sont  exploitables sur le portail Cargofleet 3, avec un suivi en temps réel de la flotte, des graphiques de température, des rapports d’activités automatiques et des alertes avec notifications en temps réel par mail ou sms.

 

Si besoin, les données collectées sont transmises aux clients des transporteurs via des interfaces avec des plateformes. La demande se limite en général aux données de géolocalisation et de température. Notre base de données a été conçue pour faciliter les échanges. Nous pouvons même dupliquer les interfaces pour permettre un envoi à plusieurs tiers si besoin. Nous avons un service dédié aux interfaces. Environ 200 ont été développées avec les constructeurs de véhicules, les spécialistes de la télématique tracteur et les plateformes de type Shippeo, Project 44, etc, ainsi que les bases de données des transporteurs.





« L'intelligence artificielle absorbera de plus en plus de données »


Yvan Keller, Directeur du pôle Solutions du cabinet de conseil BP2R, accompagne les chargeurs dans la digitalisation de leur activité de transport. Il décrypte ici l'évolution de l'informatique embarquée et des données nécessaires à ses clients.



« L'informatique embarquée, qui permet de récupérer les informations d'un camion à distance, est née au début des années 2000. On peut scinder les données transmises en deux catégories : d'une part les données techniques liées à l'utilisation et à l'usure, l'entretien du camion. En particulier, le contrôle des consommations en temps réel permet de mener une politique d'écoconduite. D'autre part, les informations d'exploitation, constituées des échanges entre les conducteurs et les gestionnaires de flotte ; lesquels poussent les missions depuis un logiciel de transport, et reçoivent en retour les preuves de livraison et les détails des opérations. Dans la même catégorie, les données sociales issues des chronotachygraphes transitent par les ordinateurs de bord pour atterrir dans les mêmes TMS ou des logiciels de gestion sociale associés.


Les données de géolocalisation enrichissent l'analyse des données techniques ou d'exploitation. Elles sont aussi les premières données échangées avec les chargeurs ou leurs intermédiaires, les plateformes de traçabilité qui ont vu le jour dans les années 2010. In fine, le GPS associé à des données de trafic routier de plus en plus précises et des algorithmes prédictifs, a donné le jour à l'ETA (heure estimée d'arrivée), qui est aujourd'hui la donnée clé des chargeurs. Ces derniers veulent pouvoir piloter ce qui se passe après le départ de leur entrepôt. l’ETA, si possible recalculé en temps réel, permet de répondre à la problématique grandissante des chargeurs depuis cinq ans : être informé avant le destinataire d'un possible retard par notification, et mesurer ce délai pour s'organiser en amont.


Pour recueillir et transmettre ces informations, les plateformes de tracking se servent aujourd'hui des ordinateurs de bord. Au niveau européen, nous estimons que 30 à 35 % des camions sont équipés d'informatique embarquée indépendante des constructeurs. Parallèlement, depuis la génération Euro 6, tous les camions sortant d'usine sont équipés d'un modem, qui sert essentiellement aux besoins des fournisseurs de véhicules plus qu’aux transporteurs ou à leurs clients.


Pour englober toutes les anomalies possibles et préciser l'ETA, les plateformes s'appuient sur de « l’open data », des sources de données externes sur la météo, les travaux en cours, l'accidentologie, etc. Nous pensons que l'intelligence artificielle absorbera progressivement un plus large panel de données techniques, avec un objectif de choix du meilleur transporteur. Avant d'affréter un camion, il sera alors possible d'estimer la probabilité de panne du véhicule. Il est assez probable que ce type d'infos soit partagé à l'avenir, pour estimer la fiabilité du transport avant même le départ du camion.


Dans la même idée, l'Internet des objets multiplie les données attachées à la marchandise : des capteurs ou des puces actives permettent de mesurer les écarts de température ou d'humidité à l'intérieur d'un colis, les vibrations subies, les chocs, etc. Le chargeur a ainsi une vision du vécu du produit pendant le transport. J’ai l’exemple d’un fabricant d'éoliennes qui fait acheminer des pâles par transport maritime. Si à l'arrivée, le produit a enregistré une vibration anormale, ça passe ; deux vibrations donnent lieu à un contrôle ; et au bout de trois, la pâle est renvoyée à l'expéditeur.





Transics : Plus loin dans la corrélation de données


Peter Bal, directeur commercial du service client EMEA chez ZF Commercial Vehicle Control Systems, souligne l'importance de l'intégration de l'informatique embarquée dans les logiciels back office, et révèle de nouvelles pistes d'optimisation.


« Il ne s'agit pas seulement de collecter des données sur la route de manière homogène. Il est encore plus important de combiner ces infos dans une unique plateforme de back-office. Transics intègre à la fois des solutions logicielles existantes, telles que les logiciels de planification et de salaire, ainsi que des solutions hardware - connexion de prise de force (PTO), capteurs de température, solutions de surveillance de la pression des pneus, etc. Cette connectivité avancée se traduit par des processus automatisés qui génèrent des économies et une efficacité améliorée. Ces extensions sont limitées ou inexistantes dans les appareils «universels» montés en usine.


Depuis que nous avons rejoint Wabco en 2014 (acquis par ZF en mai 2020), nous avons étendu notre portefeuille de solutions de connectivité, pour aboutir à une compréhension approfondie des données du véhicule. En particulier, la surveillance de la pression des pneus, la communication bidirectionnelle avec la solution de verrouillage de porte industrielle, et l'exportation de données des systèmes EBS de remorque de Wabco. Nous mesurons ainsi les performances techniques et la santé des remorques, et allons de plus en plus loin dans la corrélation de données, la prédiction et l'automatisation.


La question du carburant est centrale dans cette agrégation de data. Nous avons récemment lancé la solution Tx-Fuelbot de surveillance des ravitaillements en temps réel. L'idée est de conseiller les conducteurs sur le moment le plus opportun pour se fournir en fonction de la consommation de gasoil et des tarifs en station à proximité. Des algorithmes traitent toutes les données de conduite ainsi que les informations tarifaires pour détecter le prochain plein optimal. Notre client Immo Ouest (80), par exemple, utilise cette fonction.


Concernant la transmission d'informations à des tiers, nous nous connectons aux plateformes les plus courantes en Europe : Shippeo, Transporeon, Transwide, Project44, Nicbase et bien d'autres. Notre interface de programmation d'application (API) Tx-Tango permet aux clients de configurer une interface avec les plateformes de leurs expéditeurs, et de filtrer les données partagées.