LE MODELE AUTONOME DES ROUTIERS BRETONS | Reportage de TRM le Guide n°8 Avril 2021

La modélisation des schémas de transport, c’est la marque de fabrique des Routiers Bretons. Le DG Patrice Mevel et son conseiller informatique Gérard Charles expliquent une organisation centrée sur les missions des conducteurs, et une culture d’entreprise tournée vers le social, la prévention des risques.


En janvier 2021, les Routiers Bretons à Bruz (35) ont acquis pour la première fois une véritable informatique embarquée. Les 150 tracteurs et porteurs sont équipés de boîtiers OMP GPS-GPRS Eliotime UC 400. Cette unité centrale est reliée au chrono et au bus CAN pour récupérer en temps réel les données sociales et techniques. Une nouvelle interface chauffeur est également prévue, sous la forme d'un PDA dont le choix reste à finaliser. Parallèlement, les véhicules non moteur portent une balise OMP Track 10.


Ce choix s'inscrit dans une gestion d'exploitation assez atypique, organisée autour des missions du personnel roulant plus que des commandes commerciales. Précurseur sur l'informatique mobile, Patrice Mevel, directeur général de l'entreprise, et membre du groupement Astre, explique : « Nous sommes en pleine transition. Jusqu'à présent, les Routiers Bretons n'avaient jamais utilisé de télématique. Notre organisation induit un minimum d'échanges avec les conducteurs sur la route. Tous les voyages sont bien calés avant les départs. De plus, sur le plan social, le téléchargement des données à distance (qui a motivé la création et constitue toujours le  principal avantage de l'informatique embarquée) n'a jamais été considéré comme une priorité chez nous. En effet, tous nos conducteurs rentrent chez eux tous les jours ou les 2 jours, et peuvent vider leurs cartes au bureau. Notre choix s'est donc orienté vers de l'informatique mobile il y a une dizaine d'années ; avec des PDA et un dialogue fourni par PenBase, un prestataire qui équipe également le réseau Astre Palet System. L'outil sert à la fois à recevoir des feuilles de route, à  valider les livraisons et chaque étape de leur ordre de mission mais aussi à scanner des codes-barres ou à prendre des photos en cas de problème. »


Les 150 moteurs de l'entreprise sont opérés par 260 conducteurs. Il n'existe pas d'association entre les moyens humains et matériels. Si les trois quarts des flux sont réguliers, même l’irrégulier rentre dans le régulier ! « Toute notre stratégie repose sur la modélisation des schémas de transport, développe Patrice Mevel. Les flux sont pré-découpés. Les planning sont prévus huit jours à l'avance. Les échanges, les relais, les retours de marchandises sont organisés au plus juste. Nous avons mis en place ce système quand sont apparues les 35 heures, à la fin des années 90, de manière à mieux gérer les temps d’activités de nos chauffeurs, mais aussi leur permettre de mieux s’organiser sur le plan personnel.»


« C’est la vraie marque de fabrique de l’entreprise", analyse Gérard Charles, conseiller informatique des Routiers Bretons — un indépendant, dirigeant de la société ECITL (Etudes et Conseils en Informatique pour le Transport et la Logistique. « D'ailleurs, lorsqu'on observe attentivement l’historique des flux d'un transporteur, même comportant une part significative de transport « spot », on se rend compte que d'une année sur l'autre, les schémas sont assez similaires. En conséquence de quoi, on peut anticiper les moyens de transport, et surtout humains, nécessaires à tels ou tels secteurs et agences, selon la période de l'année ; et in fine, transmettre aux conducteurs des missions une semaine à l’avance. En pratique, si l'exploitation doit remplir quelques « cases blanches » dans les plannings, les feuilles de route sont quasiment figées.” 


Partir de la mission


Les Routiers Bretons ont d'abord appliqué ce processus sur un tableau Excel, avant d'acquérir un logiciel de transport en 2005. Le TMS développé sur la base de la solution standard TransOptimum, a été adapté quasiment sur-mesure par l'éditeur (la société Systrans) guidé par Gérard Charles et son équipe.  “Encore aujourd'hui, les TMS du marché ne remplissent pas cette fonction assez particulière, avance Gérard Charles. En général, un TMS découpe les tournées en fonction des commandes clients. Alors qu’ici, près de la moitié des tournées ou des bouts de tournées n'ont aucun lien avec les commandes. Autrement dit, Routiers Bretons ne remplit pas ses camions avec des commandes pour les affecter aux conducteurs. À l'inverse, l’entreprise définit d'abord des missions pour les conducteurs, en fonction des contraintes d'exploitation, sans forcément connaître à l'avance les ressources matérielles adaptées. L'aspect commercial est indépendant de l'activité transport. »


La société rennaise aime garder la main sur ses outils informatique. Si le TMS est spécifique, la gestion électronique des documents (GED) l’est tout autant. « Nous avons fait le choix d'une GED de l’éditeur Novaxel (intégré depuis dans la plateforme Moovapps de Visiativ) qui puisse être appliquée à tous les services, intégrant les factures d'achat, les bons de commandes de l'atelier, le courrier… La GED est centrale dans le fonctionnement de l'entreprise depuis 2012. Cette solution nous offre beaucoup d'autonomie, puisque nous pouvons ajouter des scripts au standard existant, et automatiser les tâches voulues. Par exemple, lorsque nous réceptionnons les récépissés de transport, qu'ils aient été édités par nos services ou par un confrère dont nous assurons le relais, chaque document porte un code-barres qui identifie son origine. Le service facturation accède facilement à toute les preuves de livraison d'un dossier donné. En conséquence, nous ne classons plus les documents papier. Lorsque l'on scanne un document, celui-ci tombe dans une boîte numérotée dont le stockage est répertorié dans le logiciel GED. Quand une boîte est pleine, on édite une étiquette pour identifier la suivante. Ce processus permet de retrouver rapidement n'importe quel dossier ».


La robustesse de cette organisation s'explique aussi par la stabilité du portefeuille client. « Nous bénéficions d'une clientèle fidèle. Beaucoup de nos partenaires travaillent avec les Routiers Bretons depuis 15 à 25 ans, ajoute Patrice Mevel. C'est par exemple le cas d’un leader de la distribution textile. Notre plateforme de transit réceptionne les flux du Nord de la France et organise les relais vers tous les magasins de la région. Nous assurons le même service pour d’autres grandes enseignes de distribution spécialisée. En outre, nous effectuons des transports frigorifiques de denrées alimentaires au départ du Grand Ouest. Cette activité représente aujourd'hui un quart du chiffre d'affaires établi à 35 000 000 € en 2020. Nous assurons également des tractions de messageries frigorifique et industrielle pour les principaux organisateurs de transport français et européen. Nous travaillons presque exclusivement sur l'Hexagone, avec 3-4 % de flux sur le Benelux. Quant à la logistique, elle représente 7 % du CA.


“ Notre résilience commerciale, relativement rare dans le TRM, est d'autant plus appréciable dans la situation économique actuelle, peu rassurante ”, note Patrice Mevel en aparté. Actuellement, la priorité des chargeurs semble être de pérenniser leur activité et de s'appuyer sur des partenaires de confiance. Ils jouent la sécurité.


Flexibilité de développement


Les Routiers Bretons n'échappe pas au besoin de traçabilité de ses clients. Là encore, son autonomie de développement s'avère précieuse quand il s'agit de développer une nouvelle interface avec un chargeur, ou un intermédiaire. « Nous avons connu cette situation récemment. Une semaine après avoir reçu les spécificités techniques, l'interface avec la plateforme de traçabilité en question était effective, témoigne Patrice Mevel. Notre compétitivité dépend beaucoup de cette flexibilité de développement. En effet, une fois notre prix accepté, et notre qualité de service reconnue, tout se joue sur le flux digital. C'est ce qui importe le plus aux clients. On peut même dire qu'avec nos partenaires de longue date, les rendez-vous portent aujourd'hui uniquement sur les retour d'information, souvent par le biais de Shippeo, ou GedMouv, ou des portails propriétaires. Avec des questions récurrentes : comment je peux avoir mes statuts de livraison, mon ETA (temps estimé d'arrivée) en temps réel ? Savoir répondre à cela est primordial en termes de concurrence.” Et de prendre l'exemple de son client Leroy Merlin, en lien avec Shippeo, devenu un cas d'école. Le distributeur de matériels de bricolage exige de visualiser le parcours d’un véhicule une heure avant la livraison. Dans le cas d’un autre client pour lequel la flotte bretonne opère sur plusieurs axes, les statuts de livraison sont envoyés sur une plateforme dédiée, sans intermédiaire. « Notre objectif est toujours de répondre à ce besoin de traçabilité, mais sans surcharger nos exploitants, pour lesquels la transmission d'informations entre les TMS et la plateforme doit être « transparente », précise le directeur général.


À l'inverse de Leroy Merlin, nombre de chargeurs montre un intérêt limité pour les technologies de l'information dans le transport. Mais les choses changent progressivement, dans l'objectif de recevoir des données en temps réel. Quand il existe déjà de l’EDI (échange de données informatisées), il est assez facile de réaliser ce retour d'information. Tel est le cas pour environ un quart des clients des Routiers Bretons. A défaut, comment procéder ? « Les services transport attendent souvent que nous trouvions une solution, constate Charles Gérard. Sauf à passer par une plateforme, ils comprennent qu’ils vont devoir relier leur système au nôtre. Nous travaillons alors à construire un EDI  entre leur progiciel et notre TMS. Parfois se pose la question des ressources. Nos partenaires n'arrivent pas forcément à obtenir les développements nécessaires auprès de leur propre direction, ce qui est étonnant dans des structures de très grosses tailles ! Et puis un jour, souvent sous l'impact d'une nouvelle direction, les choses bougent. On nous demande alors une traçabilité sous deux mois !”


Corrélation de données


La traçabilité, c'est d'abord du positionnement. Avec le système Eliot nouvellement acquis, l'entreprise dispose maintenant d'une informatique embarquée GPS-GPRS fixée dans le véhicule. Dans l'enquête d'ouverture de ce numéro, nous avons vu que seul un boîtier ancré dans le tableau de bord détermine un positionnement fiable et continu. La corrélation du GPS et des informations existantes devrait permettre d'affiner l'optimisation de l'exploitation : « Jusqu'à présent, sur le logiciel PenBase des PDA, un conducteur devait saisir et envoyer son statut de livraison. Mais avec les solutions récentes, la corrélation est automatique entre le menu du PDA et le positionnement du véhicule, en mode “push” depuis notre TMS. Le dialogue proposé correspond à l'étape de la mission sur laquelle le conducteur est positionné. Le chauffeur n'a plus qu'à valider l'opération. L'objectif est bien sûr de gagner en fiabilité sur le retour d'information. Dans une seconde étape, nous souhaitons pouvoir adapter ces « boîtes de dialogue » selon les chargeurs. Sur le quai de notre client, lorsqu’un chauffeur scanne les marchandises chargées ou déchargées, le système doit pouvoir associer les codes SSCC (Serial Shipping Container Code) aux palettes attendues chez le client considéré, identifiées automatiquement en fonction du GPS. Aujourd'hui comme hier, nos choix informatiques reposent sur la possibilité d'apporter de la valeur ajoutée aux produits standards, pour développer des fonctions spécifiques aux Routiers Bretons. » 


Wilfried Maisy 



Le lien avec Item parc


“ Début 2020, nous avons déployé le logiciel Item Parc, en remplacement d'une version assez ancienne du logiciel Parc Magic d’Infovisa. Cette nouvelle solution offre beaucoup plus d'interactions avec notre système d'information, TMS et informatique embarquée en cours de déploiement. En effet, nous souhaitons tirer profit des données techniques de l'informatique embarquée pour automatiser l'actualisation des visites obligatoires, des contrôles à effectuer sur les véhicules. Et ajuster notre planning d'exploitation en prévoyant les immobilisations nécessaires.

Concernant la consommation, sachant que les informations ne sont pas disponibles de la même façon selon les constructeurs, nous procédons « de plein à plein”. À l'atelier, tous les matins, les kilomètres sont contrôlés. Ce ne sera bientôt plus nécessaire. Les informations remontées de la télématique jusqu'au TMS seront ensuite poussé vers Item parc. »





Une logistique adaptable


« De manière générale, nous utilisons les outils recommandés par nos clients. Chaque site de stockage des Routiers Bretons est géré par un WMS particulier. Les équipes sont formées en ce sens. En outre, nous utilisons le WMS Shelly pour répondre à d'autres clients. Collant à notre logique de personnalisation à volonté, ce produit est également très paramétrable ! nous l'adaptons en fonction des besoins.

Par ailleurs, dans le cadre du groupement Astre et du réseau Astre Palet System, dont nous sommes distributeur sur le 35 et remettant, nous utilisons le progiciel Xyric (groupe Cofisoft). Nous avons développé des passerelles entre notre TMS Systrans et Xyric.




Avant-gardiste sur les protocoles


Chez les Routiers Bretons, l’édition d'un ordre de mission contient les différents points de passage, des sites de chargement ou de déchargements auxquels sont associés automatiquement des protocoles de sécurité (plan d'accès, consignes de parking et de respect sanitaire, etc.) préalablement numérisés par la GED. Lorsqu'un chauffeur arrive dans un établissement, il scanne le code par correspondant, et le protocole s'affiche sur son écran. Encore un développement maison !




Précurseur sur l’ISO 45 001 !


Michael Goalec, directeur des ressources humaines, techniques, et qualité, hygiène, sécurité, environnement (QHSE) : 


“ Nous sommes certifiés ISO 45 001 et ISO 14 001 depuis février 2001. Nous sommes l’une des premières entreprises de transport à satisfaire à la première norme, relative aux systèmes de management de la santé et de la sécurité au travail. Celle-ci établit un cadre de référence afin de renforcer la sécurité des travailleurs et réduire les risques. Elle fixe les lignes directrices sur la prévention des accidents du travail et les maladies professionnelles. D’application volontaire, elle se base sur les normes OHSAS 18 001 et les principes directeurs ILO-OHS  de l’Organisation internationale du travail. Résultat : les arrêts de travail  sont en baisse constante : 521 jours en 2020 suite à un accident du travail ou maladie professionnelle, contre 689 en 2019 et 1100 en 2018.

Chez les Routiers Bretons, que j'ai intégré il y a plus de 25 ans, nous avons toujours beaucoup travaillé sur la formation des entrants, en particulier sur les problématiques de sécurité liées au travail de nuit. En lien avec des partenaires privés et publics, nous avons développé un contenu de formations adaptées à nos métiers. Dans l'objectif de certifier deux compétences : sauveteur secourisme du travail ; ainsi que les gestes et postures adaptées. Cette démarche de long terme nous sert aujourd'hui face à la crise sanitaire, car nos collaborateurs sont habitués à intégrer de nouveaux protocoles de sécurité. Dans bien des domaines, nous avons aussi l'habitude d'échanger intelligemment avec les mécaniciens, les conducteurs, etc. pour améliorer les processus de manière continue. Nous n'avons pas besoin de « ramer » pour nous faire entendre ! Au contraire, les meilleures idées viennent souvent de la base. Aujourd'hui, tout le monde parle de sécurité chez les Routiers Bretons.
Cette culture d'entreprise s'inculque très tôt, dès les premiers jours d'intégration. Nous avons constaté que tout se joue là, qu'il s'agisse de la conduite économique, où l'impact de la prise en main d'un véhicule est primordial ; ou encore des questions de sécurité ; toutes ces questions sont d'autant mieux intégrées qu’elles sont aussi promues par les “pairs”, les autres conducteurs, les autres mécaniciens…



Les Routiers Bretons faits et chiffres

• Siège : Bruz (35)

• CA 2020 : 35 M€

• Effectif : 300 salariés dont 260 conducteurs

• Parc : 150 moteurs

• Activités : transport national et international en flux tendu, transport frigorifique, distribution, messagerie palettisée, logistique